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PORTRAIT : Ils réinventent l’enseignement des langues

PORTRAIT : Ils réinventent l’enseignement des langues

Depuis qu’ils ont fondé Toulingua en 2011, Daria Vodopianova et Sébastien Roger de Nuñez sont sur tous les fronts pour promouvoir l’enseignement des langues. Ils ont même inventé leur propre méthode d’apprentissage. Rencontre avec des polyglottes passionnés.

Elle travaillait dans les ressources humaines, lui était ingénieur. Daria Vodopianova et Sébastien Roger de Nuñez se sont pourtant tous les deux reconvertis dans l’enseignement des langues vivantes il y a cinq ans pour partager leur passion. Ils ont ainsi créé Toulingua, une école de langues pas comme les autres où la formation dure entre trois et six mois. À eux deux, ils y enseignent une douzaine de langues, principalement européennes. Leur secret : ce sont d’authentiques polyglottes et amoureux des langues. Il faut dire qu’ils ont tous deux grandi dans un environnement propice au plurilinguisme. « Je suis née en Russie, d’une mère ukrainienne. J’ai grandi en Suède avec un beau-père grec. J’ai fait mon Erasmus en France, où j’ai rencontré Sébastien qui est franco-argentin, explique Daria. J’ai vu que c’était une richesse et une liberté d’être polyglotte, parce que j’étais libre de travailler, de voyager où je voulais sans pour autant être obligée de passer par l’anglais. Parfois j’ai senti que je pouvais être comme les autres dans le pays. » Sébastien, quant à lui, avoue avoir toujours été intéressé par les langues. « Ma mère parlait un peu italien, espagnol, portugais, français, et d’autres langues. » Rien de surprenant donc au fait qu’il s’arrangeait toujours pour trouver du temps libre pour travailler les langues lorsqu’il était ingénieur. « Après je me suis servi de ce métier-là pour vivre à Berlin, en Roumanie, en Argentine, et j’ai voyagé un peu partout. C’est Daria qui a commencé à enseigner. Je l’ai vite rejointe en me disant que vu que je suis doué pour apprendre les langues, je pouvais essayer de transmettre mes méthodes d’apprentissage aux autres, et voir comment on apprend plus rapidement. »

À eux deux, ils développent une méthode permettant d’apprendre les langues de manière plus efficace, sans perdre de temps. Pour cela, ils font notamment appel aux techniques de coaching. Ce choix, Daria le justifie : « J’ai travaillé en Suède comme responsable d’une structure de coaching. En France, ce dont on a vraiment besoin, c’est d’un déblocage linguistique, et pour ça, les techniques de coaching sont particulièrement adaptées. On fait donc beaucoup travailler nos élèves sur les objectifs, pourquoi on apprend les langues, et on donne des outils pour qu’ils puissent devenir responsables de leur propre apprentissage. Nous, on est seulement là pour être des accompagnateurs. » Elle questionne le modèle classique de l’enseignement des langues, basé sur l’acquisition d’un niveau précis et la réussite aux examens. « Les examens, les tests, on travaille pas avec ça parce qu’on pense que c’est contre-productif, ça donne pas envie, car ça peut réveiller des traumatismes scolaires. Nous, on veut que les gens se fassent plaisir, qu’ils soient contents de venir à chaque fois et d’échanger sur des sujets qui les intéressent. C’est pour ça qu’on insiste plutôt sur des objectifs réalistes, comme par exemple pouvoir parler vingt minutes avec un Italien quand on voyage en Italie. » Sébastien renchérit à sa suite : « Souvent à l’école, l’objectif a été tourné vers la note, vers le passage dans la classe supérieure, donc c’est un objectif à très court terme. C’est pas stimulant, c’est plutôt le bâton. C’est pas une carotte. Nous, on essaie de transformer ça en carotte. Et puis se préparer à un examen, c’est pas se préparer à la vie réelle. La vie réelle, c’est parler avec quelqu’un. »

Daria s’empresse d’acquiescer en rappelant la devise de Toulingua : « Notre slogan, c’est “Sors la langue de ta poche” et c’est pas pour rien. Il s’agit vraiment de se débrouiller à l’oral. On n’a pas besoin d’apprendre une langue jusqu’à la perfection, ou faire plein d’exercices de grammaire quand on veut communiquer avec les personnes à l’oral, quand on veut se débrouiller. Or, les personnes qui viennent nous voir ont plus besoin de l’oral que d’autre chose et donc c’est notre cible, notre objectif, c’est notre évidence. Si tu veux partir pendant trois mois aux États-Unis, il faut que tu travailles sur le vocabulaire qui est adapté à ça, à ton voyage, et ne pas lire Shakespeare ou apprendre les animaux de la ferme, ça sert à rien. Il faut oser apprendre mais il y a des choses qui peuvent améliorer le temps d’apprentissage pour se faire vraiment plaisir et ne pas faire quelque chose qui nous fatigue pour rien. La réussite pour moi, c’est quand les gens trouvent le plaisir et deviennent autonomes, et n’ont plus besoin de nous. Le but c’est de pouvoir se dire, là, j’ai une langue de plus, je me sens libre, je peux faire ce que je veux, c’est la liberté. Et quand les gens arrivent à cette étape-là, nous, on n’a plus rien à faire.  »

C’est pourquoi la formation qu’ils proposent dure entre trois et six mois. Au-delà, Daria et Sébastien considèrent leurs élèves comme désormais capables de poursuivre leur apprentissage seuls, sans l’aide d’un enseignant. La philosophie de Toulingua va ainsi à rebours de ce qui se pratique dans la plupart des écoles de langues où, au contraire, les élèves sont invités à revenir l’année suivante pour accéder au niveau supérieur. Loin de cette conception de l’apprentissage par palier, le but de Toulingua est d’aider à retrouver le plaisir de s’approprier une autre langue pour ensuite progresser par soi-même, à son rythme et selon ses propres objectifs. Cette philosophie, Daria et Sébastien cherchent à la diffuser au maximum, d’abord en formant des enseignants de l’Éducation nationale à leur méthode, ensuite à travers l’autre structure qu’ils ont créée, l’association La Caravane des langues. Cette dernière est née en premier lieu du désir de Daria de mettre en place un projet plus grand, plus collaboratif, avec une équipe plus large, pour travailler davantage sur le terrain. La Caravane des langues est ainsi une association itinérante qui parcourt festivals, salons, marchés et autres manifestations populaires, pour promouvoir l’apprentissage des langues vivantes dans des lieux atypiques, loin de l’univers scolaire et universitaire. Car la mission première de cette caravane d’un nouveau genre est de venir à la rencontre de ceux qui n’osent pas franchir les portes des écoles de langues, ceux qui croient qu’ils sont incapables de parler une langue étrangère, mais aussi ceux qui pensent qu’apprendre une autre langue est inutile. À grands renforts de jeux linguistiques et d’animations, les bénévoles de la Caravane des langues brisent allègrement les préjugés et les blocages, tout en portant le message de leurs fondateurs. « On peut imaginer ça comme un pont, observe Daria. On a les personnes qui aiment les langues d’un côté et celles qui n’aiment pas les langues de l’autre. La Caravane des langues, c’est le pont qui va aider les personnes à aller d’un côté à l’autre et peut-être leur permettre d’un petit peu s’ouvrir aux langues, et avec elles, aux autres cultures. Le but c’est de se dire que l’autre n’est pas si différent de nous-mêmes. On est tous pareils quelque part, et on a beaucoup de choses à partager si on dépasse notre première impression de celui qui est en face de nous. Et tout le monde peut participer aux ateliers, des plus jeunes aux plus âgés, quelles que soient leur origine et leurs compétences linguistiques. »

Pour toucher le maximum de monde, la Caravane des langues s’est dotée d’une émission de radio, Fréquence Caravane des langues, diffusée deux samedis par mois sur RadioFMR.

Daria et Sébastien ne sont cependant pas prêts de s’arrêter là. S’ils travaillent déjà régulièrement avec le Pays basque et notamment les chargés de mission de la langue basque, ils espèrent emmener leur caravane encore plus loin, dans des régions de France où ils ne sont pas encore allés, notamment la Bretagne et le Nord, mais aussi ailleurs. Et ils envisagent d’écrire un livre pour faire connaître la méthode Toulingua au plus grand nombre et modifier durablement la perception de l’apprentissage des langues vivantes. « Il faut qu’on se dise que les langues c’est pour la communication, insiste Daria, c’est pas pour passer des examens, c’est pour échanger. L’objectif, le but c’est de faire quelque chose avec cette langue après, soit voyager, travailler avec cette culture, il y a plein de choses mais c’est pas l’examen en soi qui est le but. » Une idée qui fait déjà son chemin depuis quelques années.

 

Propos recueillis par Viviane Bergue

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