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Glottophobie | Tout savoir sur cette discrimination méconnue

La glottophobie, au même titre que l’homophobie ou la xénophobie, doit être dénoncée. Voyage au cœur d’une discrimination trop banale pour être honnête.

Glottophobie : avons-nous tous un accent ?

Combattre les discriminations est une nécessité dans nos démocraties. Et parmi celles-ci, il en est une dont on parle depuis très peu de temps en francophonie : la glottophobie. Ce terme, qui peut sembler quelque peu barbare, désigne pourtant un fléau à dénoncer. Et c’est justement tout le propos de cet article. Qu’est-ce que la glottophobie ? D’où vient l’idée plus ou moins saugrenue qu’il y a une prononciation « normale » de la langue française ? Pourquoi est-il urgent de lutter contre les préjugés à propos des accents dans notre pays ? Ce sont autant de questions auxquelles nous allons répondre sur le champ.

Qu’est-ce que la glottophobie ?

Ce terme est un néologisme. Il est l’invention du linguiste Philippe Blanchet, auteur de l’ouvrage « Discriminations : combattre la glottophobie », paru en 2016.

Définition de ce concept, censé dénoncer un fléau sous-évalué en France

La glottophobie désigne toute forme de discrimination qui touche les personnes ayant un accent déviant du parler français standard. Selon une étude réalisée par l’IFOP en janvier 2020, il s’agit d’un phénomène assez courant pour être dénoncé (16 % des personnes interrogées prétendent en avoir été victimes.).

D’après un autre sociolinguiste, Médéric Gasquet-Ceyrus, celui-ci toucherait plus particulièrement les professions où « la parole est un outil de travail », dans des domaines tels que l’enseignement ou encore le marketing. Dans ces types de professions, le fait de posséder un accent serait décrédibilisant.

Pas tous égaux face à la glottophobie

Derrière cette discrimination, se cache souvent un nombre considérable de clichés ayant la dent dure. À ce titre, certains accents sont moins bien lotis. Toujours selon Médéric Gasquet-Ceyrus, cela est par exemple le cas de l’accent ch’ti, perçu comme populaire, au sens péjoratif du terme. L’accent du Midi n’est pas non plus en reste, pour ce qui est des préjugés. Beaucoup y associent le manque de sérieux, voire la fainéantise.

Ce constat a donc conduit un certain nombre de personnes à prendre ce problème très au sérieux. Car il s’agit là de dénoncer bien plus que la simple moquerie à l’endroit des accents. Combattre ce fléau dans l’espace public s’avère aussi nécessaire que de sanctionner l’homophobie ou la xénophobie.

D’où vient le français académique ?

Mais au fait, l’idée qu’une certaine prononciation serait plus valable qu’une autre tient-elle la route ? Autrement dit, avons-nous tous un accent ? La question se doit d’être posée dans ce contexte.

Et pour y répondre, un petit voyage dans le temps est nécessaire.

Le français au Moyen Âge, un amas de dialectes

Notre langue, au départ, est issue de formes orales et populaires du latin. Au Moyen Âge, elle comprenait un nombre infini de dialectes, assez différents d’une région à une autre. Une distinction majeure s’est néanmoins rapidement dégagée entre la langue d’oïl, dans le nord et la langue d’oc parlée dans le sud du pays.

De l’ordonnance de Villers-Cotterêts à la création de l’Académie française

À partir de la deuxième moitié du XVIe, la monarchie française, soucieuse de faire progresser son administration dans le royaume, prend un certain nombre de mesures à cet effet.

Ainsi, en 1539, les ordonnances de Villers-Cotterêts sont promulguées par François Ier. Celles-ci imposent l’emploi du français dans la vie publique à la place du latin.

Près d’un siècle plus tard, l’Académie française voit le jour, en 1635. Avec elle, notre langue se dote d’une structure officielle qui en régit l’usage. C’est en quelque sorte la naissance d’un français officiel. Pour autant, pendant des siècles encore, celui-ci ne sera parlé que dans le Bassin parisien. Dans tout le reste du pays, les langues locales continuent d’être utilisées par la population.

1789 : la défaite de la monarchie… et du plurilinguisme en France

Suite à la Révolution française, les jacobins prennent le pouvoir et imposent leur vision très centralisatrice de l’État. Des mesures consacrant le français comme langue officielle et interdisant les dialectes sont prises entre 1793 et 1794. Cependant, cela n’aura que peu d’effets durant tout le XIXe siècle. Les différents parlers régionaux restent encore majoritaires en France dans la vie de tous les jours.

C’est finalement l’école obligatoire et laïque de Jules Ferry qui contribue à généraliser l’usage du français dans tout le pays, un siècle plus tard. Toutefois, il subsiste des prononciations très différentes de notre langue. Celles-ci sont comme les vestiges de nos patois fraîchement disparus. Et à l’époque, cela ne semblait pas poser problème.

Pourquoi le français s’est-il standardisé à partir des années soixante ?

La deuxième moitié du XXe siècle voit la télévision entrer dans les foyers. Et avec elle, l’idée d’un français académique s’affirme. Désormais, la norme devient la prononciation des Jean-Pierre Pernaud et autre Nagui sur nos ondes.

La plupart des présentateurs avec un accent sont souvent relégués à des tâches « moins sérieuses », telles que la météo, pour Michel Cardoze, ou encore le rugby, pour Pierre Albaladejo.

Des exceptions qui confirment la règle

Le cas de Jean-Michel Aphatie est riche en enseignements. Il a d’ailleurs coécrit avec Michel Feltin-Palas l’ouvrage « J’ai l’accent, et alors ? » en 2020. Dans celui-ci, l’analyste politique de talent se livre à de nombreuses révélations. Selon lui, par exemple, les écoles de journalisme inciteraient leurs élèves ayant une prononciation non conventionnelle à s’orienter vers la presse écrite.

Dans le même ordre d’idée, un tweet publié par le journaliste Bruno Jeudy à propos de Jean Castex en 2020 a de quoi laisser songeur :

« « Le nouveau premier ministre Jean Castex n’est pas là pour chercher la lumière. Son accent rocailleux genre troisième mi-temps de rugby affirme bien le style terroir. » »

Des certitudes à reconsidérer à propos des accents

Tout cela est de nature à nous révéler que le combat initié par Philippe Blanchet contre la glottophobie a tout lieu d’être. Et ce, pour deux raisons :

  • D’une part parce que le fait qu’il existe un français académique est très discutable. La primauté de l’accent parisien ne relève finalement que de facteurs historiques et politiques.
  • D’autre part, et c’est là le plus important, car elle contribue à dénoncer des préjugés absurdes. Car non, un accent prétendument « exotique » ne dit rien de la valeur de celui ou celle qui le porte.

Veillons donc à nous garder de nos idées reçues à ce propos. Et encore une fois, la lutte contre la glottophobie n’est pas une énième censure, fruit de la bien-pensance. Rire des accents n’a rien de mauvais en soi. En revanche, catégoriser, voire sanctionner des personnes sur ce critère n’est pas acceptable.

Philippe Navarro

Sources

https://www.academie-francaise.fr/la-langue-francaise/le-francais-aujourdhui

https://www.radiofrance.fr/franceculture/glottophobie-comment-le-francais-sans-accent-est-devenu-la-norme-5938148

https://www.lexpress.fr/societe/langues-accents-les-discriminations-oubliees_1777999.html

https://www.lavoixdunord.fr/894950/article/2020-11-18/glottophobie-si-tous-les-gens-qui-avaient-un-accent-etaient-discrimines-aurait

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