Accueil > Actualités > Actualité des langues > REPORTAGE : Immersion dans une classe d’accueil des nouveaux (...)

REPORTAGE : Immersion dans une classe d’accueil des nouveaux arrivants

REPORTAGE : Immersion dans une classe d’accueil des nouveaux arrivants

Chaque année, des enfants et des adolescents nouvellement arrivés en France sont intégrés dans des classes d’accueil pour apprendre le français et s’insérer ensuite dans le système scolaire. Reportage dans une de ces classes dans un lycée toulousain.

C’est le matin, et pendant que ses élèves mettent en pratique leurs connaissances linguistiques avec un jeu de cartes, Hélène prépare l’arrivée d’une nouvelle venue, la jeune Patricia, qui débarque de Roumanie. Hélène est prof de Français Langue Étrangère (FLE), en charge de la classe d’accueil d’un lycée toulousain. Ce dispositif existe depuis les années 1970 et permet d’accueillir les élèves allophones, c’est-à-dire dont la langue n’est pas le français, en leur prodiguant des sessions intensives de FLE, accompagnées des outils nécessaires pour s’intégrer le plus rapidement possible dans le système scolaire français. Ainsi, en parallèle de leurs cours de FLE, les élèves d’Hélène sont tous répartis au sein des classes de seconde afin de s’habituer déjà aux pratiques d’enseignement en vigueur en France. À l’issue de cette première année, tous ne poursuivront pas forcément en première dans le même lycée. Tout dépendra de leur orientation, de leur âge, et des places disponibles.

En attendant, ils s’acclimatent à leur nouvel environnement, se font de nouveaux amis, se serrent les coudes, et découvrent ou redécouvrent le plaisir d’apprendre. Beaucoup ici sont venus en France pour fuir un contexte difficile : la guerre au Proche-Orient pour les Syriens Amir et Ninab, et pour l’Irakienne Awita, qui plus est appartenant à la minorité araméenne de confession chrétienne, le conflit opposant la majorité cingalaise à la minorité tamoul au Sri Lanka pour Shaline, ou encore l’instabilité politique en République démocratique du Congo pour Deborah dont les parents sont décédés et le frère et la sœur, opposants au régime, sont portés disparus. « Le 19 janvier 2015, le président Joseph Kabila devait quitter le pouvoir mais il a voulu faire un troisième mandat. Les étudiants ont commencé à manifester et mon frère et ma sœur étaient parmi eux, et après le président a envoyé les policiers, ils ont blessé et tué les gens, et mon frère et ma sœur ont été portés disparus, raconte-t-elle après avoir longuement hésité à relater son histoire. Du coup, moi aussi, j’étais recherchée et je ne pouvais pas rester là-bas. C’est mon pasteur qui m’a amenée ici pour ma protection. »

Pour elle, se retrouver dans une classe d’accueil est à la fois surprenant et évident. En effet, le français n’est pas vraiment une langue étrangère pour la jeune Congolaise ayant grandi dans une ancienne colonie belge et donc francophone. Pourtant, comme elle l’admet elle-même, le français qu’elle parle diverge partiellement de celui pratiqué en France. Outre l’accent, certaines expressions sont différentes, et ce qui pourrait être pour elle un avantage vis-à-vis de ses camarades peut vite se transformer en handicap, d’autant plus qu’elle a des difficultés avec l’écrit et les conjugaisons. Comme elle l’explique, au Congo, « on n’étudie pas avec des livres ». Là-bas, les élèves n’ont cours que le matin, de 7h à 12h, et les interrogations ne sont pas toutes notées. L’école à la française, avec ses longues journées pouvant aller de 8h à 18h, et l’importance considérable accordée à l’écrit et à la place des livres dans les études, est une véritable révolution pour elle.

Il en va de même pour ses camarades. Pour Gloria, venue de Sicile pour des raisons économiques, tout est très différent. Il y a d’abord un problème de vocabulaire. En Sicile, on emploie le mot « interrogation » pour les évaluations orales, et le mot « contrôle » pour les évaluations écrites, alors qu’en France les deux termes sont interchangeables. Gloria a commencé à apprendre le français au collège, qui dure trois ans en Sicile comme dans l’ensemble de la péninsule italienne, mais elle a cessé d’avoir ce cours de langue au lycée, un établissement artistique principalement tourné vers les arts plastiques : dessin, peinture, sculpture. Se retrouver en seconde dans un lycée français aux formations beaucoup plus hétérogènes et où l’art n’a pas autant de place la change complètement de ses habitudes.

Même constat pour Shaline qui apprécie cependant le changement : elle trouve qu’en France les élèves sont plus libres en comparaison de ce qu’elle a connu au Sri Lanka, où l’on porte l’uniforme, où les règles sont plus strictes et où les profs continuent de taper les mauvais élèves sur les doigts avec un bâton, comme c’était le cas en Europe autrefois.

Awita, quant à elle, trouve que les cours sont bien mieux que ce qu’elle a connu en Irak et que les élèves bénéficient de beaucoup plus de choses. Un point sur lequel Jamila et Leandra semblent s’accorder. Jamila considère que les profs français expliquent mieux que ceux qu’elle avait au Maroc. Leandra fait la même remarque au sujet de ses enseignants au Brésil.

Pour leur part, Ninab et Amir soulignent, comme Deborah, la différence de plage horaire entre leur école en Syrie et le modèle français. « En Syrie, on commence à 8h et on finit à 13h, dit Amir. Les pauses ne durent pas plus de 15 minutes. »

Aissam, jeune Italien d’origine marocaine, n’a, lui, pas plus d’appétence pour l’école française que pour l’école italienne. Lui qui rêve de devenir mécanicien et ne prend plaisir qu’aux cours de FLE n’apprécie guère l’école de façon générale. « En Italie, c’est le cours de mécanique qui était mon cours préféré, » précise-t-il.

 

« C’est pas facile d’apprendre une langue »

Reste que la plus grande difficulté pour tous demeure la maîtrise de la langue française. Ainsi, ils sont nombreux à préférer, en dehors du FLE, les cours de mathématiques et de physique-chimie parce que ces derniers font beaucoup moins appel au discours et donc à un vocabulaire varié et complexe. Les mathématiques demeurent un langage universel, dépassant les barrières linguistiques, sauf pour Deborah, réfractaire à cette discipline. Shaline insiste sur la gentillesse de son prof de physique-chimie qui prend le temps d’expliquer, avec des mots à sa portée, lorsqu’elle ne comprend pas. Il n’en va pas toujours de même des autres enseignants devant faire face à des classes de trente-cinq au milieu desquelles se retrouvent ces jeunes bénéficiant du dispositif d’accueil. Deborah et d’autres observent que, trop souvent à leur goût, les profs parlent trop vite, négligeant le fait que parmi leurs élèves il en est au moins un ou deux dont le français n’est pas la langue maternelle. Or le français est une langue grammaticalement complexe et généralement très éloignée de celles qu’ils parlaient dans leur pays. Les conjugaisons posent particulièrement problème, mais aussi la prononciation. Shaline remarque qu’en tamoul le R français n’existe pas. De plus, comme en anglais, en tamoul les substantifs ne sont pas genrés. La jeune Sri Lankaise note également ses difficultés avec l’utilisation des auxiliaires être et avoir, et bien sûr avec l’écrit et l’emploi d’un alphabet différent, ne comportant que vingt-six lettres contre deux cent quarante-sept en tamoul.

Pour Leandra, la prononciation du français est bien éloignée de son portugais maternel qu’elle trouve plus proche de l’espagnol.

Pour les autres, ce sont surtout la grammaire et bien évidemment le vocabulaire qui sont les plus difficiles à acquérir, un point qui ne surprendra personne puisque le vocabulaire est la pierre d’achoppement de tout apprentissage linguistique. De ce fait, même ceux qui avaient déjà appris un peu de français dans leur pays, comme Jamila et Gloria, sont à égalité avec les autres, y compris la Francophone Deborah. Amir et Ninab, eux, préfèrent l’anglais qu’ils trouvent plus facile car ils avaient déjà appris à s’exprimer dans cette langue en Syrie. Tous ont conscience néanmoins qu’ils ne doivent en aucun cas baisser les bras s’ils veulent pouvoir se faire une vraie place au sein de la société française, d’autant que sans une maîtrise suffisante de la langue il est déjà difficile de se faire des amis parmi les élèves français qu’ils côtoient. « Petit à petit, on avance en français, » remarque Amir, confiant. Deborah, elle, observe avec justesse : « C’est pas facile d’apprendre une langue, c’est toujours dur au début. Il faut avoir la volonté. » Pour Shaline, c’est bien son incapacité actuelle à parler un français fluide et suffisamment élaboré qui l’empêche de se lier avec ses camarades de seconde. A contrario, Jamila a déjà trois amis français, et Amir et Ninab se sont eux aussi fait quelques amis.

Malgré la barrière linguistique plus ou moins importante, tous ont plutôt une vision positive des Français. « Les gens sont très gentils, » déclare Awita. Amir et Ninab surenchérissent : « Les Français aident les gens. » Et on ne peut douter qu’Hélène est pour beaucoup dans cette perception, elle qui se met en quatre pour ses élèves, quitte à être pour eux non seulement une prof de FLE, mais également une assistante sociale, une conseillère d’orientation, une tutrice dans les autres matières, et une amie.

 

Rester en confiance

Le cours se termine, les élèves rejoignent leurs classes respectives. Hélène doit régler les derniers détails de l’arrivée de la petite nouvelle, Patricia, avec l’administration, avant de prendre une pause déjeuner bien méritée. Et puis l’après-midi commence. Les élèves sont de retour en salle de FLE, attendant leur prof dans le calme. On bavarde un peu en français, seule langue commune ici, en essayant de se faire comprendre du mieux qu’on peut. Awita n’a pas besoin de se faire prier pour se mettre en binôme avec Patricia et l’aider en lui fournissant ses premiers éléments de vocabulaire. Aujourd’hui le cours de l’après-midi est consacré aux termes et expressions clés dans les leçons de mathématiques. C’est Deborah qui a réclamé qu’on aborde ce sujet, elle qui est la plus perdue dans ce domaine. Elle demande à lire les consignes en premier. Chaque mot, chaque terme posant problème est expliqué. Tout le monde participe. Aissam s’étonne que le mot « droite » puisse être employé comme substantif alors qu’il pensait que le terme était uniquement un adjectif. Hélène en profite donc pour rappeler que certains adjectifs peuvent devenir des noms dans un autre contexte, ainsi la droite en mathématiques qui désigne une ligne droite, et qui ne doit pas être confondue avec le droit. Des expressions utilisant ces termes fusent : « aller tout droit », « être quelqu’un de droit », « avoir une bonne droite »,… Aborder le vocabulaire des mathématiques devient un prétexte pour élargir les connaissances linguistiques déjà acquises, en même temps qu’il s’agit de clarifier ce qui, dans un cours type de mathématiques, peut paraître obscur. Hélène bâtit sur ce que ses élèves savent déjà pour qu’ils restent en confiance et ne se sentent pas perdre pied, comme cela peut être le cas dans leurs autres cours.

La sonnerie retentit. La leçon est finie, mais pas le travail d’Hélène. Il lui reste à s’occuper des dernières modalités pour la sortie cinéma du lendemain, car l’enseignement du FLE ne se réduit pas à un pur apprentissage linguistique, il inclut aussi l’appropriation de la culture occidentale à travers la découverte d’œuvres artistiques, et notamment cinématographiques. Hélène en profite pour nous montrer le manuel qu’elle utilise, tout en insistant sur sa volonté de pousser le plus loin possible ses élèves, quitte à avoir une approche plus ambitieuse que ce qu’on attend d’elle, parce que ses élèves ont des rêves, elle le sait, et qu’il serait dommage qu’ils doivent y renoncer pour se tourner vers des emplois non qualifiés à cause de lacunes linguistiques. Et quels rêves ! Jamila voudrait devenir médecin. Awita aimerait bien devenir architecte, et peut-être un jour, qui sait, participer à la reconstruction de l’Irak. « En Irak, on a besoin d’architectes. » Amir espère devenir ingénieur aéronautique. Nul doute qu’il se trouve dans la bonne ville pour concrétiser ce rêve. Ninab, lui, se voit footballeur plus tard. Le football est une passion qu’il avait déjà en Syrie et qui ne l’a pas quitté. Gloria voudrait travailler en laboratoire. Pour Shaline, pour qui les difficultés linguistiques sont plus grandes, son rêve de devenir pharmacienne semble inaccessible, mais qui sait ce qui peut arriver ? Une chose est certaine, leur enseignante ne les laissera pas tomber.

 

Viviane Bergue

(N.B. : Ce reportage a été réalisé en mars. Pour des raisons de droit à l'image, sa publication avait été différée.)

Autres actus des langues


Glottophobie | Tout savoir sur cette discrimination méconnue

La glottophobie, au même titre que l’homophobie ou la xénophobie, doit être...

Lire la suite

Sauvons le Goethe Institut de Toulouse !

En plein été, l’annonce de la fermeture du service linguistique de l’institut...

Lire la suite

Le forom des langues revient le 19 juin !

Le 28ème Forom des Langues du Monde aura lieu ce dimanche 19 juin, place du...

Lire la suite

La Semaine franco-allemande a commencé !

Du 19 au 31 janvier la Semaine franco-allemande revient à Toulouse avec de...

Lire la suite

Le Forom des langues du monde revient le 10 octobre !

Le 27 ème Forom des Langues du Monde aura lieu ce dimanche 10 octobre. Ce...

Lire la suite

MéliMélangues, association linguistique ariégeoise

Une nouvelle association vient de voir le jour en Ariège et propose déjà de...

Lire la suite

"Les langues mortes sont-elles vivantes ?"

Dans le podcast "Parler comme jamais", Laélia Véron reçoit trois enseignants...

Lire la suite

Apprendre les langues africaines

En ces temps troublés où, paraît-il, nous avons plus de temps pour nous, voici...

Lire la suite

Mobilisation Le Français pour tous

Une émission de radio spéciale, en partenariat avec Toulangues a eu lieu sur...

Lire la suite