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PORTRAIT : "Quand on parle, on chante déjà"

PORTRAIT :

Jean-Marc Leclercq a joué dans diverses formations rock. Musicien et polyglotte, il est aussi un ardent défenseur de l’espéranto et de l’occitan. C’est avec plaisir qu’il a accepté de nous parler de sa relation avec les langues.

On dit souvent que chaque langue a sa musique. Pour Jean-Marc Leclercq, c’est une évidence. « Il y a beaucoup de domaines linguistiques qu’on traduit par des termes musicaux. On parle de notes ou de fréquences. Chaque langue a sa fréquence, chaque langue a sa mélodie. Il y a des langues aiguës, des langues médiums, et des langues graves, » explique-t-il. Il sait de quoi il parle. Musicien de formation et pratiquant une dizaine de langues (polonais, espéranto, occitan, anglais, allemand, italien, espagnol, russe, ukrainien), il peut, grâce à son oreille exercée, percevoir les différences, parfois subtiles, de rythme et de tonalité qui font la spécificité de chaque spectre linguistique. Ainsi si l’anglais donne souvent l’impression de mieux se marier avec la musique que le français par exemple, c’est en raison de sa fréquence particulière. « L’anglais, en général, est une langue aiguë, qui se parle haut avec le nez. En musique, c’est pratique d’avoir une langue comme celle-là parce qu’elle se parle avec le devant, avec ce qu’on appelle le masque en chant. Or chanter avec le masque crée une fréquence qu’on entend très bien au milieu des instruments. Cela permet de ne pas monter la voix trop fort. On comprend quand même. C’est ça l’avantage de la langue anglaise, et de la musique anglo-saxonne, c’est que la voix est bien insérée dans la musique et reste audible. Les fréquences de la langue le permettent, elles sont haut médium, et les chanteurs chantent avec le nez, c’est-à-dire avec le masque. »

Jean-Marc précise que lorsqu’on est musicien, on est particulièrement sensible à la notion de temps forts et de temps faibles, que l’on retrouve dans les langues avec l’accent tonique. Ce dernier tombe toujours sur la dernière syllabe en français, un détail dont peu de Français sont conscients, comme l’observe Jean-Marc, alors qu’en hongrois ou en tchèque, c’est tout le contraire, ce qui influe sur la composition musicale. Dans une chanson hongroise, le morceau commence de ce fait par les temps forts. Il y a donc une musicalité propre à chaque langue, déjà présente dans la parole et qui se répercute ensuite dans la création musicale. « Quand on parle, on chante déjà, » dit le musicien avant d’ajouter : « Les cultures ont leur mélodie. » Et il nous donne alors l’exemple de la mère d’un ami qui aimait chanter les chansons qu’elle entendait à la radio. Sans en avoir conscience, cette femme d’origine algérienne réinventait les morceaux en les interprétant avec une gamme orientale. « Il y a des gens qui ont le talent commun d’une culture, de certains rythmes, de certaines mélodies, » conclut-il.

La passion des langues semble avoir toujours accompagné l’autre passion de Jean-Marc pour la musique, au gré des rencontres et des voyages. Il s’est souvent demandé d’où lui venait cet intérêt pour les langues et pense peut-être avoir trouvé la réponse dans sa propre histoire familiale. Son grand-père, pourtant simple paysan, parlait cinq langues. Cet homme avait quitté le Piémont pour s’installer en France, dans le Gers, pour des raisons économiques. Par conséquent, outre son dialecte natal piémontais, il parlait également italien, et avait appris le français et le gascon. Puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, il avait été mobilisé et rapidement fait prisonnier, comme tant d’autres, avant d’être envoyé dans une ferme en Allemagne. De ce séjour de cinq années loin de sa terre d’adoption, il avait retiré la maîtrise de l’allemand. Avec un tel grand-père polyglotte, Jean-Marc pouvait difficilement ne pas faire preuve de curiosité vis-à-vis des autres langues, sans compter que ses grands-parents habitaient en face d’une école dont le directeur était espérantiste. « Ça m’avait marqué. Je me disais, cette langue, c’est facile, je l’apprendrais un jour. » Ce qui n’était que pure curiosité d’adolescent est devenue une grande histoire d’amour avec les langues, et en particulier l’espéranto, mais aussi le polonais, langue maternelle de son épouse, et l’occitan, parmi tant d’autres. Il se plaît dès lors à chanter dans de nombreuses langues différentes, au gré des formations dont il fait partie et des lieux où il se produit, tant et si bien qu’en l’an 2000 il entre dans le livre Guiness des Records pour avoir réalisé le premier record de concert multilingue. En effet, dans le cadre de la programmation musicale du Forom des langues du monde, à Toulouse, il propose au public vingt-deux chansons, chacune chantée dans une langue différente. En 2007, il tente de battre son propre record lors du congrès de l’Association britannique d’espéranto à Letchworth avec vingt-cinq chansons.

 

« La langue d’aucun pays, d’aucune nation »

Au-delà de sa carrière de musicien polyglotte, Jean-Marc est aussi un ardent défenseur de l’espéranto et de l’occitan. L’espéranto, il a d’abord essayé de l’apprendre en autodidacte à une époque où il n’y avait pas encore Internet. Et puis, par chance, un de ses amis, Floréal Martorell, devenu un espérantiste convaincu, se propose de lui servir de professeur. Le voici désormais embarqué dans la communauté espérantiste, dispersée à travers le monde. En tant que musicien, il a ainsi l’occasion de voyager et de se produire dans des congrès, tout en étant hébergé par d’autres espérantistes. L’espéranto apparaît bel et bien comme la langue internationale qu’elle se veut être, facilitant la rencontre avec l’autre. Jean-Marc insiste d’ailleurs sur la facilité à assimiler cet idiome, par comparaison avec les langues dites naturelles qu’il juge imparfaites, car, contrairement à ces dernières, l’espéranto a un système linguistique logique et un vocabulaire précis. Aucun risque ici de croiser des mots qui, selon le contexte, peuvent changer de sens. « C’est un peu ma langue de référence maintenant. » De fait, lorsqu’il doit traduire quelque chose, Jean-Marc a à présent le réflexe de passer par l’espéranto pour éviter les contresens. La racine du mot en espéranto l’aide à trouver la bonne traduction. Outre cette facilité d’assimilation et d’usage, il apprécie également l’idée philosophique qui se cache derrière cet idiome artificiel. « C’est la langue d’aucun pays, d’aucune nation. Quand il s’agit d’utiliser une langue dans les relations internationales, c’est plus juste, parce que sinon on utilise la langue du plus fort ou de celui qui connaît le moins de langues et qui est le plus bête. Là, c’est une solution qui est juste. » Il fait ainsi un pied de nez à l’hégémonie de la langue anglaise dans le monde : ne s’est-elle pas imposée parce qu’elle est justement la langue du plus fort (les États-Unis, première puissance mondiale) et celle de ceux qui souvent ne parlent pas d’autres langues (nombreux sont les Anglo-saxons à ne pouvoir s’exprimer autrement qu’en anglais) ? Et pourtant la belle idée que représente l’espéranto ne semble guère trouver grâce auprès du grand public, peu informé, et des médias qui, selon Jean-Marc, ignorent délibérément les événements espérantistes, tel le congrès mondial d’espéranto qui s’est tenu à Lille en 2015, boudé par les médias français. Aussi Jean-Marc le dit et le répète : « C’est une langue de combat pour une idée. » Il ne peut s’empêcher en outre d’observer que l’anglais pratiqué dans les réunions internationales n’est pas véritablement de l’anglais mais plutôt un créole en formation dont les clés peuvent échapper aux authentiques Anglophones, de quoi apporter de l’eau à son moulin.

 

« Si on oublie l’occitan, on oublie son passé »

Mais l’espéranto n’est pas la seule langue victime de nombreux préjugés. Il y a aussi l’occitan, que parlaient ses grands-parents maternels. « Il faut faire de la promotion, il faut faire de la pédagogie, et c’est ça qui est intéressant. Par exemple, personne ne sait que l’occitan est neuf fois plus riche que le français au niveau du vocabulaire. » En effet, langue de terroir et de paysans, l’occitan a conservé un vocabulaire beaucoup plus fourni en ce qui concerne les éléments de la nature, là où le français, originellement dialecte du roi de France, puis de la noblesse et de la bourgeoisie parisienne, serait avant tout un parler de citadin ignorant la diversité des phénomènes naturels. Jean-Marc note ainsi qu’en gascon, variété d’occitan, il existe une trentaine de mots différents pour désigner un fort coup de vent, contre seulement deux en français, « bourrasque », qui vient justement de l’occitan, et « rafale », qui vient de l’italien. De même, il existe vingt-sept traductions possibles pour le mot « cheval ». La nature n’est cependant pas le seul domaine dans lequel l’occitan serait beaucoup plus riche que le français. C’est aussi le cas de l’expression des sentiments. « Les Français ont appauvri leur langue dès qu’il s’agit des sentiments. Il y a une espèce de pudeur qui fait qu’on ne dit rien. C’est discret. Pour les étrangers, c’est un casse-tête pour comprendre parce qu’il y a plein de sous-entendus, de non-dits, alors que l’occitan est beaucoup plus généreux, beaucoup plus expressif. Le français est très pudique. Et dès qu’on parle de l’amour physique ou moral, il n’y a plus de mots. Les étrangers ont peur de faire des gaffes parce qu’un mot peut vouloir dire plein de choses. » La plus grande expressivité de l’occitan dans ce domaine ne surprendra guère ceux qui savent que l’occitan descend de la langue d’oc, langue des troubadours qui inventèrent au Moyen-Âge une poésie amoureuse raffinée autour de laquelle se développa, notamment à la Cour d’Aliénor d’Aquitaine, le concept de fin’amor, ou amour courtois. Une conception de l’amour et de la relation amoureuse que l’on retrouve ensuite jusque dans les fameux romans de Chrétien de Troyes. Aussi Jean-Marc insiste : « C’est une langue qui mérite qu’on milite pour elle, qui vaut le coup d’être défendue pour lutter contre des préjugés et puis pour défendre aussi la diversité culturelle dans le monde. » À ceux qui lui disent que l’intérêt pour l’occitan est le symptôme d’un repli sur soi, il répond qu’il ne voit pas en quoi un individu qui parle français et occitan serait moins ouvert au monde qu’un individu qui ne parle que français. « Si on oublie l’occitan, on oublie son passé, on oublie la nature, comment se soigner par les plantes, » ajoute-t-il, en rappelant que la langue est porteuse d’un patrimoine culturel et de savoirs qui pourraient se perdre. Il appuie son propos par des exemples concrets, comme celui de ce couple d’amis venu s’installer à Fonsorbes dans un quartier dont le nom, Aygolungo, se traduit littéralement par « Eaux longues ». « À la première grosse pluie, ils ont été inondés. Les eaux restent, elles ne s’évacuent pas, c’est pour ça qu’elles sont longues. »

Pour faire découvrir ce patrimoine linguistique méconnu, il a fait paraître chez Assimil un guide de conversation en gascon. Il a également réalisé un dictionnaire de rimes en occitan. Et il cherche à présent à faire publier une méthode d’occitan… en espéranto. On ne peut qu’espérer qu’il continuera à parler avec passion de ces deux langues trop souvent méprisées, et de faire souffler un vent de diversité linguistique dans la musique.

 

Propos recueillis par Viviane Bergue

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