Est-ce qu’une langue peut mourir et tomber à jamais dans l’oubli ? Les mots peuvent-ils disparaître comme les hommes ? Pour notre civilisation occidentale où sont parlées les langues les plus enseignées au monde, la chose paraît presque inconcevable. C’est pourtant le sort qui semble réservé au quechua de Paracos qui n’est plus parlé que par une trentaine de locuteurs. Ailleurs, c’est le judéo-araméen barszani qui pourrait disparaître. En 2008, il restait environ 15 à 20 locuteurs de cette langue parlée dans la région de Jérusalem par une population ayant émigré du Kurdistan irakien. En Afghanistan, c’est le moghol, dont on estime que le nombre de locuteurs s’élèverait à 200, qui serait proche de l’extinction. Pareil pour le wiradjuri, une langue aborigène australienne qui ne compte plus qu’une trentaine de locuteurs. Toutes font partie des 574 langues que l’UNESCO considère comme en situation critique. Lorsqu’elles disparaîtront, ce seront autant de cultures, de manières de voir le monde qui seront condamnées à l’oubli. Car une langue est le véhicule des concepts et des représentations élaborés par le peuple qui la parle. Sa connaissance est généralement nécessaire pour accéder à ces concepts et pénétrer plus avant dans la compréhension de la culture de l’autre, au-delà de l’aspect purement communicationnel.
Comme le précise le site de l’UNESCO, « avec la disparition de langues non écrites et non documentées, l'humanité perdrait non seulement une richesse culturelle, mais aussi d’importantes connaissances ancestrales, contenues en particulier dans les langues indigènes. » (source : http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/endangered-languages/) C’est d’ailleurs pourquoi toutes les langues du monde sont inscrites au patrimoine immatériel de l’humanité.
Parmi les 2465 langues en danger répertoriées, outre les 574 en situation critique, on estime que 529 sont sérieusement en danger, 644 en danger, 596 vulnérables, et 229 officiellement éteintes. Ces dernières sont principalement africaines, sud-américaines, sud-asiatiques et océaniques.
Sans quitter le continent européen, on peut citer le cas du cornique et du mannois. Le dernier locuteur natif de cornique traditionnel est mort au xviiie siècle. La langue n’a survécu que grâce à un travail de reconstruction et de revitalisation mais reste considérée comme en situation critique. Il en va de même du mannois dont le dernier locuteur natif est mort en 1974 mais qui connaît une revitalisation dans le cadre familial et les contextes scolaire et institutionnel.
Préserver la diversité linguistique
Divers programmes et projets ont vu le jour pour éviter l’inévitable et préserver la diversité linguistique de notre monde, à commencer par le Programme des langues en danger de l’UNESCO. D’après cette dernière, au-delà du caractère patrimonial que recouvre l’entreprise de préservation des langues du monde, il y a non seulement des enjeux culturels et éducatifs mais aussi des enjeux écologiques. En effet, selon des études qui devraient être prochainement intégrées à un nouveau document de travail de l’UNESCO intitulé Les langues indigènes comme instruments pour la compréhension et la protection de la biodiversité, il y aurait une corrélation entre la perte progressive des savoirs ancestraux véhiculés par la langue, et le manque de diversification des espèces agricoles cultivées. En d’autres termes, la disparition des langues aurait « un impact négatif sur la conservation de la biodiversité. » (source : http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/endangered-languages/biodiversity-and-linguistic-diversity/) Il est donc primordial de travailler à la préservation des diverses langues et dialectes parlées par l’humanité.
Concrètement, l’action de l’UNESCO se déploie à la fois dans les domaines de l’éducation, de la culture, de l’information et de la communication, et de la science, pour promouvoir partout le plurilinguisme et encourager l’alphabétisation et la transmission des savoirs dans les langues autochtones.
Outre le Programme de l’UNESCO, il existe d’autres initiatives engagées dans la défense de la diversité linguistique. Ainsi, le projet Langues en danger, porté par l’Alliance for Linguistic Diversity, se veut une vaste source de documentation, de préservation et d’enseignement des langues en danger. Les utilisateurs du site peuvent accéder aux informations les plus récentes sur la question, à des échantillons de chaque langue fournis par les partenaires du projet, et peuvent soumettre à leur tour des informations et des échantillons texte, audio et vidéo.
Dans la même optique, le programme Sorosoro cherche à sensibiliser le grand public, grâce à son site participatif www.sorosoro.org proposant de nombreux articles et vidéos pour informer le public sur « la richesse des cultures portées par ces langues menacées » (source : http://www.sorosoro.org/le-programme-sorosoro/). Des actions de soutien aux populations autochtones pour les aider à transmettre et revitaliser leurs dialectes, ainsi que des actions de soutien au travail des chercheurs pour collecter des échantillons linguistiques qui seront ensuite classés dans une base de données, sont également mises en œuvre. Le programme tire son nom d’un mot araki, signifiant « souffle, parole, langue ». L’araki fait partie des langues en voie d’extinction.
Viviane Bergue